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Enseignement du sensible : la proprioception et le tonus

Enseignement du sensible : la proprioception et le tonus 

Une conversation corporelle

Dans le langage commun on parle de « une poignée de main chaleureuse », « d’accueillir à bras ouvert un ami » ; les corps parlent communique des émotions. Une idée ou métaphore utile pour comprendre les interactions corporelles du kinomichi est de les imaginer comme des conversations. Chaque saisie transmet un sentiment au partenaire, chaque mouvement, chaque toucher est une communication entre partenaires.

Découvrir et explorer notre sensibilité et notre tonus, nous aide à prendre conscience de notre communication corporelle pour espérons-le la modifier dans le bon sens. Se rappeler que le kinomichi est aussi une conversation nous aide à jouer avec ces dimensions sensibles.

Deux composantes d’un mouvement qui sourit

Deux notions entrent dans cette partie : la sensibilité et le tonus. La perception de soi et du partenaire est nécessaire parce que, en simplifiant, la sensibilité est indispensable pour avoir des interactions énergiques et souriantes avec le partenaire et soi-même ; sinon on risque de bringuebaler n’importe comment son partenaire. Un bon tonus ou une bonne disponibilité sont des composantes d’un mouvement souriant et sexy. Par ailleurs la détente et un bon tonus aident pour être sensible.

Le sensible partie occulte du cursus traditionnel occidental

Il s’agit de notions peu formalisées et inhabituelles dans notre monde. A part dans des cursus bien spécialisés, par exemple de massage, où apprend-on à percevoir par le seul contact, (peut-être les yeux fermés) le tonus musculaire du partenaire, à percevoir son mouvement, son dynamisme, son organisation tonique. Où apprend-on à percevoir si on est tendu ou non ? Cela ne fait pas partie de la pédagogie corporelle ordinaire.

Cette sensibilité n’est pas explicite dans le programme du kinomichi, mais sans elle il ne reste pas grand-chose du kinomichi. Cet enseignement est donc essentiel.

Comment maitre Noro faisait-il ?

Comment est-ce que maitre Noro faisait ? Avec lui, les mêmes mouvements étaient répétés à l’infini. Que ce soit une journée ordinaire dans son dojo ou pendant les stages, inlassablement la première heure de pratique était consacrée aux mouvements dits de « l’initiation 1 », dits statiques, ainsi que des exercices préparatoires. Il va sans dire que ses élèves réguliers connaissaient parfaitement la forme des exercices ; tout au plus y avait-il des détails à améliorer. D’abord les exercices préparatoires, étaient l’occasion de percevoir son corps, son propre tonus. Il ne restait plus qu’à espérer que cette intention de percevoir son corps subsiste lors des mouvements d’initiation 1 et les initiations suivantes.

La mémorisation de la forme libère pour le sensible ; répétition

En répétant, des milliers de fois les mêmes mouvements, nous n’avions plus besoin de nous concentrer sur la forme du mouvement. Quand notre cerveau n’est plus préoccupé par la géométrie du mouvement, les élèves qui veulent, ceux qui peuvent, ont la disponibilité pour explorer les dimensions subtiles des mouvements. La mémorisation de la forme libère l’élève pour explorer de nouveaux défis, comme la qualité du mouvement. Avec la répétition on acquiert la forme des mouvements et l’esprit se libère pour des développements ultérieurs.

La répétition est la base de nombreuses pratiques martiales orientales, comme les séries de mouvements des différents styles de Tai-chi ; un professeur de kendo m’a expliqué comment il devait répéter les mouvements de sabre inlassablement – plusieurs centaines de fois. De même maitre Noro aimait raconter qu’il lui est arrivé de répéter un exercice jusqu’à ce que son maitre dorme ! Dans ces traditions, sans indications spécifiques de l’enseignant, l’élève pouvait ne jamais comprendre, ni profiter de la répétition ; il pouvait rester à la superficie des mouvements sans jamais aborder la qualité des mouvements. Certains élèves dans ce modèle, parvenaient à s’émanciper de la forme, ils avaient l’intuition d’un corps qui se relâche, de nouvelles coordinations. Mais combien étaient-ils ? C’est le principe pédagogique « tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens ». Dans ce modèle traditionnel la répétition sans accompagnement spécifique lassait les élèves incapables de progresser, à leur propre sort.

Aborder les blocages et tensions

Je ne savais pas que je bloquais : de la difficulté de se percevoir

Quand j’ai commencé le kinomichi dans le dojo de maitre Noro, je devais être particulièrement raide. Je dois l’être encore un peu ou beaucoup ? Nombreux de mes partenaires, qui pratiquaient depuis plus de dix ans ce même dojo, sous l’œil vigilant de maitre Noro, me disaient : « tu es raide, relâches-toi ». Généreuse injonction, mais totalement incompréhensible pour ma pomme. Et si par hasard, j’arrivais à la comprendre, je n’avais aucun mode d’emploi pour relâcher tout spécialement mes épaules. Ils me faisaient une « clef » sur le poignet (ma perception objective et corporelle à l’époque) et par miracle je devais me relâcher. Cette injonction était incompréhensible à mon cerveau et à mon corps. Je doute sérieusement que je fus une exception à l’époque, et que personne ne se retrouve aujourd’hui dans une situation similaire. Le travail sur le tonus n’est pas une évidence et il fait l’objet d’un enseignement dédié par exemple : l’Eutonie de Gerda Alexander.

Parallèlement, à mes débuts, je n’avais aucune conscience de l’effet de mes mouvements sur mon partenaire. Et je ne comprenais pas comment mon partenaire qui me faisait une technique savait tant de chose sur mon corps, sans me regarder : mon épaule bloquée, mon bassin mal placé …

Les étirements ne sont pas suffisants : des processus spécifiques

Étant peu souples, souvent les étirements provoquaient chez moi des déséquilibres internes parce que j’avais du mal à placer mon centre de gravité dans un lieu sûr. Pour m’équilibrer, je me contractais de façon désorganisée pour compenser, au lieu de me relâcher comme le faisaient mes voisins bien souples. C’est l’occasion de comprendre que les meilleures positions d’étirement peuvent même être contreproductives. En soi, les étirements ne suffisent pas pour se percevoir et se relâcher ! Surtout s’ils sont faits de façon mécanique. Cela nécessite des processus spécifiques.

Les premiers pas pour le sensible : conscience corporelle

Bien que pratiquant régulièrement, je ne sais pas combien d’années ont été nécessaires pour me relâcher corporellement dans la pratique du kinomichi ? Le premier pas pour évoluer a été de prendre régulièrement des cours ce conscience corporelle au Brésil. Cependant cela ne signifie pas automatiquement que mon corps évolue dans la pratique du kinomichi. C’est une étape supplémentaire à franchir, mais au moins j’avais des instruments pour m’observer et me corriger. Malgré tous ces processus, j’ai encore du mal à percevoir mes raideurs. Ici, je ne suis qu’un exemple ordinaire de la difficulté à se percevoir et des efforts de conscience dédiés auxquels il faut recourir en ce sens.

Pour reprendre le thème de la conversation, on peut se demander comment on parle à son propre corps. Lui parle-t-on comme à une voiture ou comme à un cher ami ? Comme à un chien docile ou comme à un chat rebelle ? Puis se demander si on parle différemment au corps du partenaire qu’à son propre corps ? Sans développement !

Un temps dédié pour la conscience corporelle

La sensibilité corporelle et la proprioception active[1] n’étant pas naturelles dans notre monde occidental, elles doivent faire part de processus dédiés par l’enseignant.  Il s’agirait par un effort conscient de percevoir le tonus de certains muscles ; par exemple les muscle de l’épaule sont-ils relâchés, toniques, tendus, crispés ou verrouillés.  Cette conscience du corps et bien d’autre, sont les premiers pas pour agir sur la qualité du mouvement. En Occident, on ne peut plus se permettre d’espérer que quelques élus finissent par découvrir les éléments sensibles de la pratique. Il faut mettre en place un processus pour prendre conscience du tonus et d’autres qualités corporelles.

Idéalement cet éveil corporel a besoin d’un temps qui lui soit dédié ; pour la majorité des pratiquants cela est impraticable de le faire pendant l’apprentissage de la géométrie des mouvements. Dans cette perspective, la partie « préparatoire » d’un cours, ou d’un stage ne peut plus se contenter d’être un échauffement articulaire et musculaire. Les élèves ont besoin de guide pour explorer ces sensibilités.  L’Eutonie est une option pour ce développement ; on y développe la perception de son propre corps, ses propres limites, son confort ? L’Eutonie n’ayant pas l’exclusive, ce genre de méthode est un pas essentiel pour un sourire qui envahit le corps.

Ce genre de mise en condition, permet de développer la sensibilité en générale. Nous nous souvenons que le cerveau d’un débutant est déjà surchargé d’informations et de défis. Si en début de cours, le cerveau par des exercices prend l’habitude se centrer sur la sensibilité corporelle, les programmes neuronaux sensibles et perceptifs sont activés, et la probabilité augmente pour qu’ils restent actifs pour une bonne partie du cours. De toute façon, cela ne pas être pire que si la sensibilité et la perception n’avaient pas été activées. Un début en ce sens est bénéfique pour la suite de la pratique. C’est ma façon de comprendre l’importance que Maitre Noro donnait à la pratique très régulière de l’exercice « contact » (sans aucune exigence géométrique spécifique) et de « l’initiation 1 ».

Une explication possible pour les blocage et solutions

Hypothèse sur le blocage

Quelques hypothèses sur les blocages physiologiques, peuvent aider à les comprendre ; c’est une condition pour avoir un enseignement qui facilite leur dissolution. Tâchons de comprendre les blocages … Sans en exclure d’autres, mon hypothèse est que le cerveau protège les articulations. Dans le cas typique, un partenaire saisit la main et le poignet de l’autre partenaire pour lui faire une spirale ; le cerveau de celui qui reçoit pense que le membre supérieur est agressé et raidit les articulations pour les protéger. Les blocages et raideurs sont de systèmes de défense, contre ce qui est perçu comme des clefs des agression, même s’il n’y a pas d’intention !

Parfois l’histoire du sujet est l’origine du blocage : des traumatismes passés incarnés. Je ne sais pas si les méthodes suggérées ici peuvent aider ?

Comment remédier à cette situation ? Voici trois idées que je vais expliciter : 1° serrer moins fort le poignet et plus généralement la prise juste, 2° commencer la spirale d’une façon plus proximale 3° celui qui reçoit va initier l’action ; et une quatrième le sourire !

A chaque fois, il s’agit de réorganiser la conversation corporelle entre partenaires. Comment faire changer d’opinion le corps de l’autre par le sourire ? J’imagine que c’est une expérience de communication non violente.

Pas une pince mais une clef anglaise

Premièrement, plus on sert fort le poignet du partenaire, plus il est probable que le corps partenaire se sente agressé. Moins on sert, moins il y a d’agression perçue, moins le corps aura tendance à se bloquer. Il faut apprendre à saisir sans serrer, ce que certains doivent appeler « main la du bébé ». Mon image moins poétique est la clef anglaise qui s’ajuste à l’écrou sans le serrer ; pourtant la clef anglaise emmène l’écrou dans la spirale. La pince, en revanche, écrase et abime l’écrou. Cette image pourrait parler à certains.

Parmi les autres détails techniques à rappeler, il y a l’usage du petit doigt dans la saisie. Je ne détaillerai pas ici l’importance d’une bonne saisie qui est fondamentale pour donner une sensation de confort à celui qui reçoit, lui permettant plus facilement de se relâcher. C’est l’un des mille détails essentiels que le débutant a du mal à assimiler les premières années. Cela fait partie des notions qui participent au principe d’écoute sensible (voir ci-dessous : L’écoute sensible du partenaire, page 17). Sans écoute sensible, celui qui reçoit ne se sent pas accompagné mais plutôt secoué. Sa perception ira donc naturellement dans le sens de l’agression, même s’il n’y a pas d’intention dans ce sens. Plus le partenaire est sensible moins celui qui reçoit peut avoir des sensations d’agression.

Commencer par une spirale proximale

Les techniques  (iten, ichi par exemple) se font à partir d’une prise sur le poignet qui devrait créer une spirale qui se propage dans le corps de celui qui reçoit. Je ne souhaite pas entrer dans des explications détaillées sur les techniques. Très facilement le corps et le cerveau de celui qui reçoit peut interpréter cette action comme une agression ; peu importe l’intention, ce qui compte c’est la perception. Dans certains styles d’aikido, les techniques sont faites, non pas sur le poignet, mais sur les doigts (la partie la plus distale possible), créant ainsi plus de douleurs, ce qui augmente la peur ; plus de peur génère plus d’agression perçue ; plus d’agression génère plus de blocage. Bien que le kinomichi ne devrait jamais entrer dans ces schémas, chaque corps et cerveau amène son histoire avec lui.

Facilement ce type d’action sur le poignet est perçu par le système neurophysiologique comme une menace et il se protège. La même action de rotation faite plus proche de l’épaule ou directement au contact de l’épaule est reçue sans blocage ; c’est-à-dire sans défense que j’interprète sans agression perçue. Ce n’est pas un hasard, si les masseurs et thérapeutes qui travaillent sur les tensions de l’épaule manipulent le bras (humérus) et non l’avant-bras. En jargon, l’action proximale (proche du tronc) est perçue comme moins agressive que l’action distale (loin du tronc). En tout cas, c’est mon constat sur moi-même et de nombreux partenaires.

Partant de ce constat, on peut commencer à faire la rotation de façon proximale (proche de l’épaule) et généralement l’épaule accepte l’action externe et se relâche. On peut continuer à faire le même mouvement en s’éloignant progressivement de l’épaule (devenant plus distale), et normalement aucun blocage n’apparaît. Bien sûr, il est recommandé de faire preuve de finesse et de bon sens, sinon on peut gâcher tout le processus ; et évidemment, il y aura toujours des cas où rien ne marche. Finalement, on arrive sur le poignet pour réaliser le mouvement standard du kinomichi, et le système neurophysiologique a compris qu’il n’y avait pas de menace ; il n’y a plus de blocage. On peut dire que l’on a enseigné au cerveau à relâcher l’épaule.

Inversion les rôles

En lisant les livres d’approche neuroscientifique du mouvement (Bethoz), j’ai compris que le même mouvement pouvait être organisé différemment selon le contexte ou l’intention changeaient. Je citerai l’exemple de la personne debout dans un bus (ou métro) en mouvement. Si la personne debout ne se tient pas par au moins une main à une barre, alors elle gère son équilibre (quand le bus accélère, freine, tourne) en bougeant son bassin, c’est-à-dire son centre de gravité (aligner le centre de gravité, gravité et force centrifuge avec le polygone de sustentation). Si la même personne se retient par une main à une barre, alors c’est la main qui gère l’équilibre (le bras se tendant sur la barre, en compensant la force centrifuge) et le bassin ne réagit presque pas. Différents programmes neuromusculaires se mettent en place pour gérer l’équilibre, dans le premier cas des mouvements du bassin, dans le second la tension du bras. Avec le kinomichi, on peut jouer à changer les programmes pour que les épaules se relâchent.

Comme je l’ai essayé sur moi-même, j’invite les débutants ou non à prendre en torsion avec une main un poteau (style poteau de signalisation, ou un point fixe quelconque dans un gymnase), et de s’en servir pour s’étirer ; le bas du corps bouge pour étirer la partie supérieure. On constatera que l’étirement est possible et que la scapula (omoplate) glisse dans le dos, sans blocage. Que se passe-t-il à la fin d’un mouvement d’initiation 1 ou 2, quand une ligne de force s’établit entre la main saisie et un pied ? Le partenaire qui guide, au moyen d’une prise sur la main exerce une tension qui se propage dans le corps – une forme d’étirement en spirale. Le débutant subit ce phénomène, dit autrement, il est passif et son système profond l’interprète comme une agression. Son cerveau se dit « c’est bizarre de recevoir une spirale énergique – normalement cela se termine mal ». Si, comme dans mon étirement avec un poteau, la prise donnée sur la main devient passive ou un point d’appui et que celui qui reçoit utilise ce point d’appuis pour créer et étirer une spirale dans son corps, les programmes neuromusculaires changent. Les rôles s’inversent ; celui qui reçoit devient plus actif à la fin que celui qui donne. « actif-actif » comme disait Maitre Noro. Le cerveau de celui qui reçoit décide où aller, à quelle vitesse, à quelle intensité ; il sait qu’il ne peut pas se faire mal. Le cerveau ne vit plus une situation d’agression puisqu’il contrôle la situation. Il n’a plus besoin de se protéger ; le blocage se dissout.

Utiliser la main qui saisit comme un point fixe et donner le contrôle complet à celui qui reçoit, change la programmation. Selon les mouvements, les pratiquants peuvent commencer l’expérience avec un point fixe non humain, garantissant ainsi le contrôle complet, excluant toute agression imaginée ou réelle. Ce fait-on agresser par un poteau ou une barre d’espalier ? Une fois que cette étape a bien été explorée, on peut commencer à alterner les rôles actifs entre les partenaires. Dans ces cas de rôle inversés, celui qui guide traditionnellement va percevoir la direction que son partenaire choisie pour étirer la spirale ; il va apprendre à sentir la direction juste qu’il pourra utiliser par la suite. Par un processus continu, il peut alors amplifier avec sensibilité le mouvement. Ce transfert continu d’un partenaire à l’autre de l’action d’étirement sur celui qui reçoit trompe la vigilance du cerveau. En jouant avec cette inversion de rôle, la sensibilité se développe et les programmes de blocage sont évités.

Ici les termes de la conversation ont été complétement réorganisés pour retrouver plus de fluidité !

Le sourire

Par moment, Maitre Noro racontait des blagues, faisait le pitre, le clown, distillait la bonne humeur. Certainement, il nous détendait. Y avait-il une intention pédagogique ? Je ne reviendrai pas sur les liens entre nos humeurs, nos émotions et l’état de notre corps ; je suis convaincu qu’ils sont liés – intimement ! Sans entrer dans un catalogue, le sourire et le « sexy » sont des émotions liées au déblocage corporel. Il est plus facile de se relâcher en souriant. Dans le cas de la pratique qui vient après une activité professionnelle, il est important de sortir de l’esprit du stress. C’est pour cela que toute pédagogie du kinomichi est meilleure accompagnée du sourire. Le sourire ne devrait pas être négligé par les enseignants, notamment comme outil de détente.

L’écoute sensible du partenaire

Aligner les forces

Sans revenir sur les explications, la sensibilité diminue avec l’effort musculaire. Plus on fait d’efforts moins le corps est sensible. A l’inverse, plus on se relâche plus le corps est sensible. Pour apprendre à être sensible, il est nécessaire d’apprendre à diminuer ses tensions musculaires. On a déjà vu la problématique du blocage. Mais on peut aussi s’organiser pour utiliser prioritairement les muscles du bas du corps en particulier des jambes et du bassin qui sont naturellement plus puissants, pour soulager les muscles des épaules et des bras. Ici ne me semble pas le lieu pour développer ce point technique. Maitre Noro disait régulièrement « trop de bras » ; en effet trop de bras diminue la sensibilité et par suite la qualité du mouvement en général. En prenant en compte cette dimension, l’enseignant donne plus d’outils aux pratiquants pour se détendre, donc être sensible, et finalement être à l’écoute du corps du partenaire.

Pratiquer les yeux fermés

Pourquoi les cours de conscience corporelle commencent-ils souvent allongés et les yeux fermés ? Pendant une formation, j’ai attrapé l’information suivante : « la vue représente 80% de l’énergie sensorielle qui arrive au cerveau ». Même si le chiffre est imprécis, l’ordre de grandeur est significatif. Si le cerveau ne reçoit plus l’information visuelle, je ne peux qu’imaginer deux choses : 1° le cerveau est 5[2] fois plus disponible pour traiter les informations non-visuelles ; les capacités cérébrales de traitement sont accrues- 2° Par nécessité, le sujet recherchera les informations non-visuelles pour gérer la situation, notamment s’il est en mouvement et tout spécialement en mouvement avec un partenaire – la motivation et la nécéssité sont accrues. Les yeux fermés, le sujet a plus de capacité neuronale et plus de motivation pour traiter les informations non visuelles. Au-delà de notre intuition, on comprend mieux pourquoi les yeux sont souvent fermés pendant les cours de conscience corporelle, la proprioception est potentiellement plus disponible. On comprend mieux pourquoi on goute mieux le vin les yeux fermés.

Avec de l’espace, des amis yeux ouverts qui surveillent les mouvements, des mouvements déjà connus, c’est-à-dire en prenant les précautions nécessaires, on peut pratiquer le kinomichi les yeux fermés. De facto, la vitesse d’exécution est plus lente, probablement par peur et par manque d’habitude. Les sensations corporelles guident les interactions. Les partenaires apprennent progressivement ce nouveau mode d’interactions qui n’est plus basé sur les canons visuels et géométriques. Dans le scénario idéal, la conscience de la proprioception se développe ; cette conscience devient la mesure du mouvement et du dialogue entre partenaires. La proprioception s’impose naturellement alors qu’elle peut être bien difficile à stimuler et développer ; elle n’est plus un concept abstrait mais une réalité qui guide la pratique. Il revient à l’enseignant de valoriser ce processus, par un jeu de questions.

Pour conclure

Étape de référence pour sensibiliser le corps

Dans ma pratique, quatre étapes me servent de référence :

1.     Le réveil de la sensibilité d’une partie du corps par exemple : tapotage, frottement, glisser sur le sol, massage. La concentration de l’esprit peut aider. Normalement avec ce type de traitement local, on peut prendre conscience certains muscles et os.

2.    Mettre en mouvement simple : des mouvements simples sont réalisés avec l’idée de poursuivre la conscience corporelle. Il s’agit de rester simple, pour que les circuits du cerveau restent à l’écoute et continuent à percevoir la région sensibilisée, sans être pollués par la concentration sur des mouvements compliqués

3.     Contextualiser : un mouvement de kinomichi est effectué tranquillement en espérant que la sensibilité ne se soit pas évanouie.

4.    Prendre la sensibilité comme instrument pour faire évoluer la pratique

La conscience corporelle comme outil

Souvenons-nous que nous sommes naturellement doués de cette sensibilité. Cette information sur l’état de notre corps arrive constamment à notre cerveau mais pas à notre conscience ; on dit que l’information est « inhibée » (ici on peut se référer à Berthoz). Si à chaque instant nous devions sentir notre respiration, tout ce que notre peau touche, l’air qui passe à chaque instant, notre conscience serait surchargée et notre cerveau n’aurait pas la disponibilité de se concentrer sur autre chose. On ne la désinhibe que si elle devient utile. Une fois que la sensibilité corporelle est disponible, elle devient un outil d’observation. Pendant la pratique, la sensibilité entre en jeu pour comprendre, pour évaluer et pour savourer la situation. Maitre Noro disait souvent quelque chose du type « savourez votre mouvement, goutez votre mouvement ; est-il bon ? ». Avec la perception nous avons les moyens de nous observer au-delà de la forme et de rechercher l’une des finalités principales du kinomichi : le mouvement avec le tonus juste. Là comme ailleurs, il revient à l’enseignant de solliciter cette attention.

Conclusion : répétition et exercice dédié

Deux idées clés peuvent être retenues : d'une part, tirer parti de techniques connues pour libérer la concentration afin d’aller dans le sens de l’observation sensible ; d'autre part, commencer les cours par un éveil à la sensibilité. Chaque préparation, chaque début de cours est non seulement un conditionnement corporel, un réveil cardiaque, mais aussi un conditionnement cérébral et sensible. L’enseignant doit être conscient des conséquences de son début de cours. Pour ma part, selon les groupes, je commence avec des exercices qui réveillent les lobes de la sensibilité dans le cerveau des élèves et en espérant que ces lobes restent actifs ce qui n’est pas garanti.

 


[1] Nous avons une proprioception qui fonctionne constamment mais de manière inconsciente. Nos pieds savent où ils sont, ils ne se marchent pas dessus. On se brosse les dents, on se peigne sans se regarder ; nos mains, nos pieds savent où ils sont et nos mouvements se coordonnent sans utiliser les yeux. Notre corps sait constamment comment il est organisé dans l’espace, et cela se passe sans conscience, sans les yeux. C’est le début de la proprioception.

[2] On passe de 20% d’énergie dédié au non-visuelle à 100%, soit un rapport de 1 à 5. Évidemment, rien dans le cerveau n’est linéaire mais il y a certainement un grand potentiel libéré.

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