Profiter de l’instant
Albert Einstein était « un mauvais élève »
A l’École Polytechnique de Zurich, la légende[1] disait qu’Einstein était un mauvais élève. Toujours selon cette légende, dès qu’un sujet physique ou mathématique l’intéressait, il y consacrait toute son énergie. Il profitait de la passion de l’instant pour consacrer tout son temps et ses études en s’attelant à un problème, ce qui lui valut la désapprobation de ses professeurs, car il négligeait ainsi le programme officiel des cours. Mauvais élève mais passionné. Était-ce si grave ? y avait-il des contreparties positives ?
Chemin d’apprentissage et projet pédagogique
Au moins 99% des nouveaux-nés finissent par se mettre debout et marcher, mais chacun à leur propre rythme ; quelques années plus tard, tout le monde a oublié que certains ont été plus rapides ou plus lents. Chaque pratiquant a son propre chemin d’apprentissage psychomoteur. A chaque instant, chacun a la disposition d’apprendre certaines choses. Chacun a son chemin. De nombreux chemins mènent au Kinomichi. Comment les pratiquants vivent-ils leur chemin d’apprentissage ? Que se passe-t-il si le chemin d’apprentissage du pratiquant ne correspond pas au projet pédagogique de l’enseignant ? Cette considération amène naturellement à un nouveau questionnement pédagogique.
Une autre voie que la correction
Lors du déroulement habituel d’un cours, le professeur donne soit un exercice soit un mouvement ou une série de mouvements à faire ; et les élèves pratiquent suivant à leur façon les indications. Que fait alors le professeur ? Dès qu’il voit des erreurs, il arrête et corrige ? il attend que le résultat soit satisfaisant et passe à autre chose ? Ce sont deux réactions tout à fait normales. Comment va-t-il transformer la pratique dans notre nouvelle perspective ?
Accompagner le processus du pratiquant
Ou plutôt, le professeur doit apprendre à percevoir le processus des élèves : ce qu’ils essayent, ce qu’ils découvrent, ce qu’ils recherchent. Le champ d’expérience actuel, présent des élèves correspond à un moment où leur système psychomoteur est motivé et où leur système a envie d’essayer. Si le professeur profite de cette situation, il profite des dispositions de l’instant des élèves, il valorise l’état naturel des élèves. Valorisant leur état de l’instant, il respecte leur chemin propre d’apprentissage. Les avantages sont multiples.
1. Les élèves se sentent plus confortable parce que dans leur élément naturel.
2. Ils ne sont pas en contradiction avec leur curiosité psychomotrice.
3. Cet état de l’instant correspond au parcours naturel d’apprentissage (ce qu’ils peuvent apprendre à cet instant, ce qu’ils sont disposés à apprendre).
4. Donc ils apprennent naturellement.
5. Avec moins d’effort conscient.
6. La naturalité de l’apprentissage supprime les contretemps ; donc c’est plus rapide.
7. Moins de frustration.
8. Donc avec des émotions positives (ou sans émotions négatives)
9. Parce que souriant alors moins fatigués
10. Parce que moins fatigué, cela peut continuer
11. Un cercle vertueux se crée entre le bien être et l’apprentissage.
On se souviendra que notamment les chiens apprennent mieux avec la récompense qu’avec la punition. Le bien-être étant une forme de récompense, on comprendra que ce type de processus offre de meilleures chances d'apprentissage.
Les corrections contre-productives
Combien de fois, par exemple, j’étais préoccupé par l’organisation de mes pieds, et on me corrigeait la position de la tête ? combien de fois j’étais préoccupé par mes mains, et on me corrigeait mon dos ? Cela m’est arrivé mille fois. Et combien de fois, ai-je corrigé le dos d’un partenaire qui se concentrait sur autre chose ?
Souvent le partenaire avancé veut bien faire. Pris par sa propre interprétation du kinomichi du moment, il va corriger sans penser au contexte. Il corrigera ce qui lui paraît important en fonction de son vécu, et il y a peu de chance que ce qu’il a en tête à cet instant coïncide avec le processus psychomoteur de son partenaire. La correction cassera probablement l’élan naturel du débutant qui ne pourra plus profiter de son instant présent. Et tout ce qui était dit dans le paragraphe précédent ne pourra plus se réaliser, dans les hypothèses les plus extrêmes. Beaucoup de corrections, de conseils, même juste théoriquement, viennent à contretemps et sont improductifs. Les corrections n’ont pas de sens dans l’absolu. Celui qui la reçoit la contextualise toujours en fonction des processus qu’il vit pendant le cours.
Difficulté de la pluralité des pratiquants
Problème, dans un groupe de personnes, pas tout le monde n’est au même endroit. C’est une histoire de compromis, trouver une espèce de lieu moyen des élèves ; chercher ce qu’ils veulent et peuvent découvrir expérimenter ensemble.
Paroles de l’enseignant et l’instant présent
Paroles possibles du professeur : « qu’est-ce que vous ressentez ? Avez-vous de bonnes expériences ? ». La parole du professeur ne doit en aucun cas retomber dans les schémas classiques de références à un mouvement parfait, à l’atteinte d’un objectif extérieur aux élèves. Par son discours, le professeur doit encoucarger l’autonomie de l’apprentissage des élèves.
Propositions pédagogiques
· Le professeur doit être conscient d’un axe d’apprentissage pour chaque cours. C’est ce qu’il souhaite que les élèves assimilent. Cet axe sera le centre d’attention des élèves. Mais encore faut-il que cela marche. Le professeur se doit d’être lucide ; rien ne sert de tenter d’imposer un projet qui de toute évidence ce jour-là, avec ce groupe ne fonctionnera pas. Il est permis de s’adapter. Est-ce que le groupe suit globalement dans l’intention suggérée ?
· Par un système de vase communiquant, si les élèves se concentrent sur une chose ils négligeront les autres dimensions essentielles du kinomichi. Tant le professeur que les partenaires avancés devront l’assumer ; c’est à dire que les partenaires avancés ne devront pas corriger en dehors de l’intention pédagogique, du professeur. Si on vient à corriger les autres dimensions, il est fort possible que le débutant en oublie l’intention originale du cours et entrera probablement dans un état de confusion. Toutes proportions gardées, il s’agit de respecter le cheminement du débutant, de profiter de son cheminement qui dans le meilleur des cas est optimum.
· Il est donc important de ne pas faire des corrections intempestives surtout au débutant ; il faut respecter l’intention pédagogique du professeur, et « l’instant » du débutant.
Les écarts du pratiquant sont-ils des erreurs ?
Dans le scénario le plus optimiste, il ne s’agit pas de condamner les écarts des élèves par rapport à l’intention donnée par le professeur et de les interpréter comme une erreur, voire comme une désobéissance ! L’écart de l’élève est sa façon de vivre, d’absorber l’information qu’il reçoit du professeur. Il agit en fonction des moyens psychomoteurs dont il dispose (inconsciemment). Le professeur ne sait pas toujours qu’est-ce que l’élève a réellement assimilé, sur quoi il peut s’appuyer pour développer son apprentissage. L’écart vient lui donner cette information. Idéalement, le professeur pourra trouver comment continuer son intention pédagogique à partir de cet écart. L’élève s’en sentira d’autan mieux, parce que soudainement les bases du cours seront ses capacités propres…
Pourtant Einstein est devenu un grand scientifique
En s’écartant des programmes, avec sa passion, il entraînait ses neurones en s'investissant dans une passion. Sa motivation naturelle le poussait à travailler les neurones dans un contexte positif et par conséquent plus productif. Contrairement à ceux qui apprennent pour un examen et qui oublient tout le lendemain, les processus devaient rester longtemps dans son cerveau. Comme il était dans une démarche « ludique » de recherche, son objectif n’était pas de mémoriser par coeur, mais de comprendre en profondeur les raisonnements. Devenait-il ainsi son propre professeur ? Est-ce ainsi qu’il s’est formé à être un chercheur ? Il se laissait guider par sa curiosité et sa passion.
Certes tous les élèves ne sont pas des Albert Einstein, mais on peut les aider à se comporter comme lui !
[1] Je parle de « légende » car il s'agit d'histoires qui circulaient et que je n'ai pas cherché à vérifier.
Opmerkingen